TINA est une menteuse!


TINA, acronyme de "There Is No Alternantive", signifie que le capitalisme est un choix incontournable, que tout régime prenant une autre voie court à sa perte. En plus d'être réactionnaire ce positionnement est obscurantiste car il ne se contente pas de prétendre que le système libéral est la seule vision recevable du monde mais, comme fut un temps la religion, il s'impose de plus dans de nombreux domaines dont la vie privée, l'éducation, la santé, vouant à l'excommunication toute pensée apostate taxée de gauchisme ou de complotisme.

Cette doctrine libérale, basée comme il se doit sur le capital, peut être appréhendée par les mouvements de ce dernier entre les principaux acteurs économiques comme schématisé ci-dessous. Nous y constatons que *toutes* les remontées à la classe dominante sont soumises à intérêts et sont donc plus importantes (flèches rouges) que les sorties qui les génèrent. Résultat on ne peut plus logique de la politique du profit... "Si les gens comprenaient comment fonctionne le système bancaire, il y aurait une révolution avant demain matin!" disait Henri Ford. Voila exactement comment ce système fonctionne, en rançonnant toute l'activité humaine...


LE RUISSELLEMENT VERS LE HAUT

Concernant la balance des échanges entre les acteurs nous pouvons également constater que deux résultats positifs (flèches noires) parviennent aux entreprises (multinationales comprises évidemment), l'un issu de l'Etats sous forme d'infrastructures et de cadeaux fiscaux et l'autre des travailleurs sous forme de "force de travail", cette dernière n'étant pas rétribuée à sa juste valeur puisque délestée de la plus-value.

Si enfin les travailleurs et citoyens bénéficient d'un seul échange positif engendré par les services publics, l’État lui-même reste déficitaire dans *tous* ses échanges: les impôts sont lourdement grevés tant par l'optimisation que par l'évasion fiscale tandis que privé du droit régalien de frappé monnaie il se voit contraint d'emprunter au prix fort. L'origine de la dette souveraine ne fait dès lors pas mystère.

Qu'à cela ne tienne, il n'y a pas d'alternative nous dit-on tout en reconnaissant, comble de l'ironie, que cette dette n'est tout bonnement pas remboursable. Un seul système "viable" donc... mais manifestement condamné à terme. L'économie prétendument auto-régulée a indéniablement du plomb dans l'aile. Toute personne sensée constatant la faillite d'un processus ne peut que tenter de résoudre le problème par la raison.

Mais l'économie est un art disent certains, ce n'est peut-être que le rapport de l'homme à l'argent qui soit un art, le reste n'est qu’arithmétique et cette discipline s'accommode fort bien de règles et de planifications. Ça y est, le gros mot est lâché, "planification", et d'aucuns pousseront des cris d'orfraie rien qu'à l'entendre, surtout ceux qui tirent profit des aberrations du système.

Même schéma SANS la classe dominante




L'économie planifiée a en effet mauvaise presse. L'économie de marché est-elle plus fiable? Les guerres, les inégalités et les crises dont elle est directement responsable permettent d'en douter. N'est-il pas plus prudent de confier la gestion de la société à des spécialistes désintéressés qu'à quelques mégalomanes du privé?... Ces quelques dizaines de milliardaires qui désormais possèdent la moitié de notre monde opèrent en secret, c'est le principe même des affaires et ce constat ne peut en rien être taxé de complotiste.

Nous aurions tout intérêt à confier la tâche à un ministère indépendant de tout intérêt particulier à la condition expresse toutefois que ses travaux soient d'une parfaite transparence. Exit donc les lobbies, les investisseurs richissimes dont on ne sait d'où vient la fortune, le biais congénital de la finance qui profite toujours aux plus forts, au profit d'un État réhabilité qui n'aura plus à servir de parrains mafieux au détriment de l'intérêt général.

La disparition de la classe dominante, des principaux investisseurs privés donc, implique d'autre part que l’État retrouve ses moyens légitimes tels les banques centrales et le pouvoir de frapper monnaie. Et, pour peu que l'on adhère à la philosophie du salaire à vie, pourquoi ne pas pousser le concept jusqu'au bout et imaginer que la motivation au travail ne soit plus le fric mais l'aspiration de chacun à la reconnaissance sociale et au plaisir du service rendu? Angélisme?... Serait-il plus réaliste de construire la Cité sur l'individualisme asocial et le dégoût du travail contraint? A bien y regarder, c'est pourtant largement le cas aujourd'hui!...
Richard Bouillet, juillet 2016

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De la théorie à la pratique:




COMMENT SOCIALISER LE SECTEUR BANCAIRE
par Éric Toussaint et Patrick Saurin 

Parce que les capitalistes ont démontré à quel point ils étaient capables de commettre des délits et de prendre des risques – dont ils refusent d’assumer les conséquences – dans le seul but d’augmenter leurs profits, parce que leurs activités entraînent périodiquement un coût extrêmement lourd pour la collectivité, parce que la société que nous voulons construire doit être guidée par la recherche du bien commun, de la justice sociale et de la reconstitution d’une relation équilibrée entre les humains et les autres composantes de la nature, il faut socialiser le secteur bancaire. Comme le propose Frédéric Lordon, il s’agit de réaliser « une déprivatisation intégrale du secteur bancaire » [1].

Soustraire citoyens et pouvoirs publics de l’emprise des marchés financiers

Socialiser le secteur bancaire signifie :

• l’expropriation sans indemnité (ou avec comme seule indemnité l’euro symbolique) des grands actionnaires (les petits actionnaires seront indemnisés) ;

• l’octroi au secteur public du monopole de l’activité bancaire à une exception près : l’existence d’un secteur bancaire coopératif de petite taille (soumis aux mêmes règles fondamentales que le secteur public) ;

• la définition - avec participation citoyenne - d’une charte sur les objectifs à atteindre et sur les missions à poursuivre, qui mette le service public de l’épargne, du crédit et de l’investissement au service des priorités définies selon un processus de planification démocratique ;

• la transparence des comptes qui doivent être présentés au public de manière compréhensible ;

• la création d’un service public de l’épargne, du crédit et de l’investissement, doublement structuré, avec d’une part un réseau de petites implantations proches des citoyens, et d’autre part, des organismes spécialisés en charge des activités de gestion de fonds et de financement d’investissements non assurés par les ministères en charge de la santé publique, de l’éducation nationale, de l’énergie, des transports publics, des retraites, de la transition écologique, etc. Les ministères devront être dotés du budget nécessaire aux financements des investissements relevant de leurs attributions. Les organismes spécialisés interviendraient quant à eux dans des domaines et des activités excédant les compétences et les sphères d’action de ces ministères afin d’assurer le bouclage d’ensemble.

Imaginons ce que cela signifie concrètement : les banques privées auront disparu, c’est-à-dire qu’après leur expropriation (avec indemnisation des petits actionnaires), leur personnel aura été réaffecté au service public bancaire et des assurances, avec garantie de l’ancienneté, des salaires (jusqu’à un maximum autorisé afin de limiter fortement les très hauts salaires, et en augmentant les bas salaires pour réduire l’éventail salarial) et avec une amélioration des conditions de travail (abandon du benchmarking [2] et des pratiques de vente forcée). Un système de recrutement pour les nouvelles embauches sera mis en place en respectant les normes de recrutement d’un service public.

Des banques au service des citoyens

Il sera mis fin à une situation qui voit une concentration d’agences bancaires concurrentes dans les grandes agglomérations et une pénurie ou une absence de succursales dans les petites villes, les villages et les quartiers populaires. Un réseau dense d’agences locales sera développé afin d’augmenter fortement l’accessibilité aux services bancaires et d’assurance, avec du personnel compétent pour répondre aux besoins des utilisateurs en relation avec les missions de service public. Personne ne sera exclu de l’accès au service public bancaire qui doit être gratuit.

Les agences locales du service public géreront les comptes courants et recevront l’épargne des utilisateurs qui sera entièrement garantie. L’épargne sera gérée sans prendre de risque. Cette épargne sera affectée, sous contrôle citoyen, au financement de projets locaux et d’investissements de plus large portée axés sur l’amélioration des conditions de vie, la lutte contre le changement climatique, la sortie du nucléaire, le développement des circuits courts, le financement de l’aménagement du territoire respectant des normes sociales et environnementales rigoureuses, etc. Les épargnants pourront choisir le ou les projets qu’ils souhaiteront voir financer par leur épargne.

Les agences locales octroieront des crédits non risqués aux individus, aux ménages, aux PME et structures privées locales, aux associations, aux collectivités locales et aux établissements publics. Elles pourront affecter une partie de leurs ressources à des projets de plus large échelle que ceux menés au niveau local, naturellement dans le cadre d’une politique concertée.

Des banques au service de la collectivité

Le fait que les agences locales géreront des moyens financiers de taille raisonnable pour des usages locaux ou pour des projets plus larges qui seront présentés de manière précise (avec l’établissement d’un calendrier de programmation et d’outils de suivi permettant de contrôler clairement l’usage des fonds et la bonne mise en œuvre des projets) facilitera le contrôle des différents protagonistes.

Les projets locaux à financer seront définis de manière démocratique avec un maximum de participation citoyenne.

Les agences locales auront également en charge les contrats d’assurance pour les personnes physiques et les personnes morales.

Soutenir la transition vers une économie sociale, soutenable et écologique

Par ailleurs, les ministères en charge de la santé publique, de l’éducation nationale, de l’énergie, des transports publics, des retraites, de la transition écologique, etc … disposeront de moyens de financement provenant du budget de l’État.

Des agences transversales spécialisées interviendront dans des domaines et des activités excédant les compétences et les sphères d’action d’un seul ministère. Elles auront pour vocation d’assurer des missions spécifiques ou transversales définies avec participation citoyenne, comme le programme de sortie totale du nucléaire, y compris le traitement sécurisé des déchets nucléaires sur le long terme.

Le secteur bancaire socialisé permettra de reconstituer un circuit vertueux de financement des pouvoirs publics : ceux-ci pourront émettre des titres qui seront acquis par le service public sans passer par les diktats des marchés financiers.

Bien des aspects du projet restent à élaborer collectivement, nous sommes dans la phase préparatoire de la mise en place d’un système complètement nouveau. Cela demande un ambitieux travail collectif de mise en commun des idées et des propositions. Ce travail ne fait que commencer.

Contrôle citoyen à tous les niveaux

Contrôle citoyen : contrôle par les travailleurs, les usagers, les élus locaux, les représentants des petites, moyennes et micro-entreprises, les artisans et autres travailleurs indépendants, les délégués du secteur associatif.

À ce contrôle citoyen s’ajoute le contrôle par les autorités de surveillance bancaire.

Le mot « socialisation » est utilisé de préférence à celui de « nationalisation » ou « étatisation » pour indiquer clairement à quel point est essentiel le contrôle citoyen, avec un partage de décision entre les dirigeants, les représentants des salariés, des clients, d’associations, les élus locaux, que vient compléter le contrôle des représentants des instances bancaires publiques nationales et régionales. Il faut donc définir de manière démocratique l’exercice d’un contrôle citoyen actif. De même, il faut encourager l’exercice d’un contrôle des activités de la banque par les travailleurs du secteur bancaire et leur participation active à l’organisation du travail. Il faut que les directions des banques remettent annuellement un rapport public sur leur gestion transparent et compréhensible. Il faut privilégier un service de proximité et de qualité rompant avec les politiques d’externalisation menées actuellement. Il faut encourager le personnel des établissements financiers à assurer à la clientèle un authentique service de conseil et éradiquer les politiques commerciales agressives de vente forcée.

La socialisation du secteur bancaire et des assurances
et leur intégration aux services publics permettront :
  • de soustraire les citoyens et les pouvoirs publics de l’emprise des marchés financiers ;
  • de financer les projets des citoyens et des pouvoirs publics ;
  • de dédier l’activité bancaire au bien commun, avec entre autres missions celle de faciliter la transition d’une économie capitaliste, productiviste et nuisible à une économie sociale, soutenable et écologique.

Parce que nous considérons que la monnaie, l’épargne, le crédit, la sécurité des encaisses monétaires et la préservation de l’intégrité des systèmes de paiement relèvent de l’intérêt général, nous préconisons la création d’un service public bancaire par la socialisation de la totalité des entreprises du secteur bancaire et de l’assurance.

Parce que les banques sont aujourd’hui un outil essentiel du système capitaliste et d’un mode de production qui saccage la planète, génère un partage inégal des ressources, provoque des guerres, accroît la paupérisation, rogne chaque jour davantage les droits sociaux et attaque les institutions et les pratiques démocratiques, il est essentiel d’en prendre le contrôle et d’en faire des outils au service de la collectivité.

La socialisation du secteur bancaire ne peut être envisagée comme un slogan ou une revendication qui se suffirait en elle-même et que les décideurs appliqueraient après en avoir saisi le bon sens. Elle doit être conçue comme un objectif politique à atteindre dans le cadre d’un processus porté par une dynamique citoyenne. Il faut non seulement que les mouvements sociaux organisés existants (dont les syndicats) en fassent une priorité de leur agenda et que les différents secteurs (collectivités locales, petites et moyennes entreprises, associations de consommateurs, etc.) se positionnent en ce sens, mais aussi – et surtout – que les employé.e.s de banque soient sensibilisé.e.s au rôle de leur métier et à l’intérêt qu’ils auraient à voir les banques socialisées ; que les usagers soient informés là où ils se trouvent (exemple : occupations d’agences bancaires partout le même jour) afin de participer directement à la définition de ce que doit être la banque.


La socialisation du secteur bancaire et le soutien populaire, 
conditions nécessaires à tout changement de modèle

Seules des mobilisations de très grande ampleur peuvent garantir que la socialisation du secteur bancaire soit réalisée en pratique car cette mesure touche au cœur le système capitaliste.

Si un gouvernement de gauche s’abstient de prendre une telle mesure, son action ne pourra pas provoquer véritablement le changement radical nécessaire pour rompre avec la logique du système capitaliste et enclencher un nouveau processus d’émancipation. La soustraction du secteur bancaire aux capitaux privés par la socialisation est le préalable incontournable à la mise en œuvre d’un programme économique en rupture avec le capitalisme et sa logique.

La socialisation du secteur bancaire et des assurances est un point fondamental d’un projet bien plus vaste comportant d’autres mesures permettant d’enclencher une transition vers un modèle post-capitaliste et post-productiviste. Un tel programme devrait avoir une dimension européenne même si sa mise en œuvre ne venait à s’amorcer que dans un seul ou un petit nombre de pays. Il comprendrait notamment l’abandon des politiques d’austérité, l’annulation des dettes illégitimes, la mise en place d’une réforme fiscale d’ensemble avec une forte imposition du capital, la réduction généralisée du temps de travail avec embauches compensatoires et maintien du salaire, la socialisation du secteur de l’énergie, de l’eau et de la santé, des mesures pour assurer l’égalité hommes-femmes, le développement des services publics et de la protection sociale ainsi que la mise en place d’une politique déterminée de transition écologique.

Aujourd’hui, la socialisation de l’intégralité du système bancaire et des assurances est bien une urgente nécessité économique, sociale, politique et démocratique.


Notes

[1] Frédéric Lordon, « L’effarante passivité de la « re-régulation financière » », in Changer d’économie, les économistes atterrés, Les liens qui libèrent, 2011, p. 242. Ajoutons que la socialisation de l’intégralité du secteur bancaire est préconisée par le syndicat Sud BPCE.
[2] Le benchmarking est un outil de surveillance des salariés dont les résultats, accessibles à tous en permanence, sont comparés en continu à travers un classement stigmatisant ceux considérés comme les moins performants. C’est une technique de management par le stress très répandue dans les grandes entreprises en vue de générer une émulation malsaine.


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation,Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu lePrix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège. 
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.
Patrick Saurin
a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.