Pourquoi encore voter?...


Auguste Blanchi écrivait en 1852 : « Qu’est-ce donc qu’un démocrate, je vous prie ? C’est là un mot vague, banal, sans acceptation précise, un mot en caoutchouc. » [1]

Déjà alors, le mot de démocratie perdait son sens de revendication égalitaire que lui avait légué la révolution de 1789. « Tout le monde se prétend démocrate, surtout les aristocrates », ajoutait Blanqui.
A partir de 1875, les lois constitutionnelles de la 3ème République consacrent le parlementarisme et la « démocratie » ne représente plus que l’ornement de la dictature des maîtres de l’industrie et de la finance, de ceux qui, dans les années 1930, allaient être appelés les « deux cent familles »...


« Les institutions formellement démocratiques ne sont, quant à leur contenu, que les instruments des intérêts des classes dominantes », écrira Rosa Luxemburg. [2]


Le prodige est que cette véritable spoliation de pouvoir peut être obtenue sans contraintes. Il suffit que le « peuple » soit convenablement socialisé, tant par sa formation familiale, scolaire et professionnelle que par l’influence de son milieu et de son époque, pour qu'il accepte comme autant de nécessités « naturelles » les mécanismes qui contribuent à la sélection du personnel politique souhaité par la classe dominante.


« Le système n'a pas à redouter l'action « libre » des individus dans la mesure où leur liberté s'exercera selon des logiques qu'ils auront intériorisées et qui les conduisent à faire ce que le système attend d'eux », nous avertit le sociologue Alain Accardo. [3]


C’est ainsi que, grâce au suffrage universel, la volonté du capital peut se métamorphoser en volonté générale et que l’État peut servir les intérêts de la bourgeoisie et user de toutes les formes de coercition tout en se prétendant neutre et soumis au verdict populaire. La démocratie parlementaire continue d’entretenir la notion d’égalité parmi ses valeurs, mais celle-ci n’est que fictive. Seules les inégalités et la défense du droit de propriété s’avèrent réelles. 

« La place du privilège a été occupée ici par le droit », constatait Karl Marx.


La délégation de pouvoir à laquelle souscrit le « peuple » en acceptant d’exercer son droit de vote se retourne donc contre lui. Elle se transforme en un régime censitaire déguisé qui fonctionne au profit de la minorité des plus puissants et des plus riches.


Dans ces conditions, « à chaque élection, la vraie question n'est pas Pour qui ? Mais : Pourquoi ? », commente à juste titre Louis Janover. [4]


Oui, pourquoi encore voter ?




[1] Auguste Blanqui, Lettre à Maillard, 6 juin 1852.
[2] Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou Révolution (1898), Ed. Maspero, 1969.
[3] Alain Accardo, Le petit-bourgeois gentilhomme, Ed. Labor2003.
[4] Louis Janover, La démocratie comme science-fiction de la politique, Ed. Sulliver, 2007.


Jean-Pierre Dubois
http://lepetitblanquiste.hautetfort.com/archive/2012/12/11/france-pourquoi-encore-voter.html