D’autres approches se développent ici et là. Ainsi, deux auteurs écosocialistes comme l'économiste Jean-Marie Harribey (coprésident d’Attac) et le sociologue Michael Lowy se sont penchés sur la contradiction capital/nature.
Ce problème a été approché chez Marx dans le livre 1 du Capital « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter les travailleurs, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroitre sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. » Le capitalisme met donc en danger ses propres bases naturelles et humaines d’existence (productivisme).
A l’opposé de certains marxistes qui réduisent la démocratie
à une « superstructure » secondaire, l’altermondialiste Patrick Braibant débusque quant à lui la contradiction
capital/démocratie en affirmant que « le
fait démocratique constitue un type d’institution à part entière»
contredisant radicalement les rapports sociaux « qu’impose l’actuelle primauté de la raison capitaliste ».
D’autres, comme la chercheuse belge Isabelle Ferreras, mettent en évidence combien
les salariés entrent en tension avec les formes capitalistes du pouvoir en
entreprise ou comme l’économiste Thomas Coutrot qui montre comment « le développement de la « démocratie
participative », appelant une extension dans la sphère économique, se
heurte aux « fondements mêmes du
capitalisme néolibéral » (lobbys, professionnalisation du politique,
omniscience des experts, appropriation des canaux de l’information et de la
culture).
Enfin, sans pour autant prétendre à l'exhaustivité, la contradiction
capital/individualité est également à relever, elle aussi épinglée par Marx
dans ses manuscrits de 1844 où il dénonçait l’aliénation capitaliste, appel on
ne peut plus clair à l’émancipation de l’individualité ? N’a-t-il pas
également qualifié de « vulgaire » le communisme qui promeut
« le nivellement des être humains » en « niant partout la personnalité
de l’homme »?... Si le capitalisme stimule d’un côté les désirs d’épanouissement
personnel il limite au final l’individualité par la marchandisation et entraine
autant de frustrations que de souffrances sociales, tant
matérielles que psychiques.
Contradiction capital/individualité
Des quatre contradictions relevées ci-avant attardons-nous
sur la dernière, celle concernant l’individualité, celle-ci
souffrant trop souvent d’un a priori négatif chez nous à gauche. N’est-ce pas une valeur
de droite ?... Pas plus que d’autres, ainsi celle de la liberté par
exemple que les libéraux ont tenté de s’approprier et de monopoliser… comme le
reste. Pour cette droite « l’individualisme
du XXème siècle a du lutter contre la coalition hétéroclite, mais puissante, du
marxisme, de la psychanalyse (1), de la sociologie, de la linguistique et du
surréalisme (2). Il finira cependant par s’imposer vers la fin du siècle avec
notre triomphe » (Phrase
révélatrice trouvée sur un blog libéral).
(1) par contre la
démarche de Michel Onfray dans "Le Crépuscule d'une idole –
l'affabulation freudienne" est
loin d’être inintéressante…
(2) surréalisme qu'André Breton
définit « automatisme psychique pur ».
Pour Philippe Corcuff (politologue et sociologue, membre du conseil scientifique d’Attac) comme pour bien d’autres penseurs de gauche, « faire
de l’individualisme un ennemi à combattre c’est se tromper ». Se
tromper d’autant plus si par ailleurs on souscrit à la dialectique historique
et à l’émancipation progressive du peuple qu’elle suggère. Le phénomène de
l’individualisme contemporain n’est pas le produit exclusif de l’individualisme
marchand, il répond aussi à d’autres logiques non réductibles à l’ordre
capitaliste : logique d’émancipation aux communautarismes féodaux, logique
de la démocratie, des droits de l’homme et du citoyen, de la disparition de la
famille patriarcale, etc… L’erreur stratégique par excellence serait de laisser
le monopole de l’individu aux néolibéraux ce qui, dans une société fortement
individualisée comme la nôtre, reviendrait à se tirer une balle dans le pied.
Si donc nous voulons rendre à l’individualisme le statut de
paramètre sociologique normal, et ne plus le considérer uniquement comme élément
de propagande libérale, nous devons le rétablir dans le champ de nos
investigations et en tirer les conséquences. Ainsi ce ne serait pas faire l’apologie
d’une société atomiste que de préconiser la propriété privée d’usage, propriété
s’appliquant au logement comme à tout autre bien domestique*. Ce ne serait pas trahir le marxisme que de relativiser la lecture collectiviste
qui en a été faite - Marx ne s’est jamais opposé à d’autres formes de propriété
privée que celle des moyens de production - ce serait simplement le
réactualiser,... sinon le réhabiliter.
* Voir petites entreprises artisanales, problèmes d’héritage
etc…
Aborder la question de
l’individualité dans le cadre du marxisme n’a donc rien de sacrilège, c’est au
contraire un légitime retour aux fondamentaux. Une société équilibrée se doit de
prendre en compte tant l’aspect individuel que collectif des êtres qui la
composent et afficher clairement cette dimension dans le discours de la gauche ne
pourrait que lui être favorable au niveau des adhésions et scrutins. De tous
les malentendus handicapant la gauche auprès de son électorat potentiel n’est-ce
pas celui se rapportant au statut de l’individu et de la propriété d’usage qui est le plus lourd de conséquence. Levons
cette ambiguïté et nous exploserons nos scores électoraux.
Endeumo
Au delà de la contradiction capital/travail il y a urgence à élargir le champ d’expertise de la
gauche aux questions soulevées par les contradictions capital/nature et capital/démocratie
et surtout en finir avec la lecture essentiellement collectiviste de Marx qui,
au nom d'une classe laborieuse, ignore superbement la contradiction capital/individualité.