La main invisible manque de doigté.

Un principe fondateur du libéralisme, de la main invisible d’Adam Smith au néoclassicisme économique (1), veut qu'il existe un ordre naturel (sinon surnaturel…) qui conduise le système économique vers un équilibre profitable... à tous. Sous réserve de libre concurrence, donc d’absence de tout interventionnisme quel qu’il soit, la loi de l'offre  et de la demande (2) équilibrerait ainsi le marché dont, bien entendu, la finance.

S’il est malaisé de chiffrer avec exactitude les choses de la vie réelle, tout commerce étant susceptible d’être biaisé par de multiples paramètres et aléas, celles de la finance offrent quant à elles un terrain idéal pour juger de la validité de cette loi supposée indépassable.
Ainsi, au niveau de l’actionnariat, le « bon sens » libéral suppose que le cours d’une action baisse lorsqu’elle enregistre plus de ventes que d’achat et, inversement, monte lorsque la demande est plus forte. Voila qui parait limpide, et pourtant !...

Simplifions à l'extrême les pratiques du panier et supposons (3) un gros porteur mettant à la vente une quantité importante d’actions d’une même entreprise, le cours de ces actions baisse. Si ensuite il rachète ces mêmes actions une fois la baisse effective il les récupère moins cher qu’il ne les a vendues mais, par ce rachat, leur rend leur valeur initiale. La plus-value est "mécanique" et le déséquilibre flagrant entre « petit » et « gros » porteur puisque le « poids » (nombre d'actions disponible) du premier ne pourrait en aucun cas influer sur les cours.

Allez vous y retrouver dans tous ces taux!...
      SIMULATION HYPER SIMPLIFIEE

      Soit action X à 10$.

     
     Mr Gros (porteur) vend 5% de ces actions.
     Celles-ci se retrouvent à 8$ après la vente

          (offre supérieure à la demande).
     

     Mr Gros rachète ces mêmes actions 8$.
     Celles-ci retrouvent le taux de 10$.
          (ratio offre/demande rétabli).
    

     Mr Gros engrange donc 2$/action. 

Dans l’absolu, Mr Gros peut répéter cette opération à l’envi et amasser une petite fortune sans déroger à cette fameuse loi de l’offre et de la demande. Peu importe si quelque règlement interdit ce type d’opération en l’assimilant à une manipulation de cours (4) ; l’équilibre naturel, principe fondateur du libéralisme, est ici incontestablement battu en brèche, et pas sur un point de détail

Notre propos n’est évidemment pas d’imaginer quelque martingale que ce soit, il est de dénoncer la perversion du dogme du marché dans une discipline précise où, justement, ce dogme est particulièrement vénéré. Il est aussi de confirmer l’adage selon lequel, dans notre société, l’argent va à l’argent, ce qui ne peut qu'augmenter les inégalités sociales.

Pour conclure, rappelons-nous, ou découvrons pour certains, l'origine de la fortune des Rothschild:
Comme la plupart des banquiers, les Rothschild disposaient d'un réseau de renseignement. Au lendemain de la bataille de Waterloo, Nathan Rothschild accomplit un « coup de bourse » remarquable. Dès que l'issue du combat fut certaine, un de ses agents partit pour Londres via Ostende. Informé dès le 20 juin 1815 dans la matinée, Nathan Rothschild vendit ostensiblement ses titres à la Bourse, suggérant ainsi une victoire de Napoléon; puis après avoir provoqué un krach; racheta ces mêmes titres au dernier moment alors que les cours s'étaient effondrés. Le rapport que Wellington rédigea après la bataille n'arriva dans la capitale britannique que le 21 dans la soirée. Dès le lendemain, la victoire provoqua une hausse de la Bourse. Les Rothschild ont toutefois prétendu qu'on avait surestimé leurs gains. 

                                      

Nombreux sont ceux qui croient trouver ici un "délit d'initié", ce qui aurait été indubitablement le cas si Nathan Rothschild s'était contenté d'acheter en masse des actions avant que la victoire de Wellington ne fut connue, et encore... Est-ce être initié que d'obtenir une information par des procédés accessibles à toute personne voulant s'en donner les moyens, hors toute fonction particulière? Le fait majeur dans cette opération n'est pas l'information en elle même mais son altération volontaire visant à tromper le marché, soit à manipuler les cours.  
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1- Kenneth Arrow et F.H. Hahn, penseurs néoclassiques, écrivent en 1971 « …La “main invisible” d'Adam Smith est une expression poétique de la plus fondamentale relation d'équilibre économique... ».
Par ailleurs, selon wikipedia, "le libéralisme économique relève d'un raisonnement de nature économique qui repose le plus souvent sur la théorie de l'équilibre général et qui est souvent appelé libéralisme néoclassique".
Voir aussi "l’Équilibre Néoclassique" => 3. Le marché et l'équilibre
"La construction néoclassique aboutit ainsi à la confrontation sur le marché entre une courbe d'offre et une courbe de demande ; la première est croissante avec le prix, la seconde décroissante. L'équilibre sera donc atteint (...) via les variations de prix, qui égalisera l'offre et la demande. Quels qu'en soient les détails, le bon fonctionnement de ce mécanisme exige que le marché obéisse à certaines conditions : en l'occurrence, que la concurrence puisse y être qualifiée de pure et parfaite."

2- Troisième alinéas: " Ce niveau de prix, qui résulte de l'offre et de la demande, détermine un équilibre qui est qualifié de stable, ce qui signifie que si l'on s'éloigne de cet équilibre, des mécanismes automatiques (ceux du marché) ramènent vers l'équilibre..."

3- A savoir, avant toute supposition, que "la moitié des ordres émis sur les titres des sociétés du CAC 40 proviennent de trois professionnels du trading de haute fréquence (High Frequency Trading- HFT). Cette forme de trading automatisé représente entre 50 et 60 % des ordres aux États Unis. En Europe, cette proportion pourrait atteindre 40 % cette année." (voir)
Et bien sûr ce type de transaction automatisée qui permettrait de passer jusqu'à 1 000 ordres par seconde permet aussi de jouer à la hausse ou à la baisse sur du très court terme (voir).

" Article 631-1
Toute personne doit s'abstenir de procéder à des manipulations de cours.
Constitue une manipulation de cours :
1° Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres :
a) Qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications
fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours
d'instruments financiers (...)"